Je crois que
l’angoisse a un corps. Elle se déguise en un sentiment diffus et invisible,
mais elle a bien un corps, un poids et des contours. La plupart du temps, elle
est tapie, petite boule douce et duveteuse, au fond de notre ventre. Là où l’on
ne la sent pas, là où l’on ne l’entend pas. Elle dort. Chez certaines
personnes, cette hibernation dure toute une vie ; on les appelle "heureux". Chez d’autres, elle est
terriblement courte.
L’angoisse ne se
réveille que lorsqu’on la nourrie. Devant la peur qu’on lui donne à manger, sa
bouche s’ouvre, toute béante. Et elle bouffe, elle bouffe, elle s’empiffre,
autant que faire se peut. Et on la sent grandir dans notre estomac, puis notre
ventre tout entier, puis monter vers la tête, monter si fort et si rapidement
qu’on en a le tournis, qu’on voudrait s’asseoir ou s’évanouir. Elle tourbillonne
en nous, et l’on sent chacune de ses aspérités, ces grosses bosses pleines de
peur et de malheur. On les sent grossir et brûler et ça nous fait très mal. Parfois
elle devient tellement immense, elle est tellement à l’étroit qu’on en vient à
pleurer. Mais les larmes ne viennent pas de nous, non. Ce sont ses larmes à
elle, les larmes de l’angoisse, qui n’en peut plus de grossir et d’être aussi à
l’étroit dans nos petits corps. Elle a besoin de place, tu comprends, aucune
limite ne devrait pouvoir la contenir. L’angoisse est vieille comme le monde,
et je suis sûre que si on la laissait faire elle serait aussi grande que la
Terre.
Si petite boule de terreur, j’aimerais pouvoir toucher ton corps une
fois, pour me dire enfin que tu es bien réelle. Parce que tu me rends folle et
que la folie est infinie quand on ne la comprend pas, quand on ne peut la
saisir.